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longs et plats saupoudrés de graine[1] en souvenir de la manne qui avait nourri les ancêtres dans le désert ; il en brisa de petits morceaux qu’il distribua à tous les membres de la famille, y compris Adélaïde-Rebecca, qui s’efforçait de demeurer aussi grave que possible. Cohen récita une courte prière hébraïque, pendant laquelle Jacob se coiffa de son chapeau pour imiter son père ; après quoi, toutes les têtes se découvrirent et le repas commença sans que Deronda s’intéressât à aucun de ses détails. Il ne sut pas trop quels genres de mets il mangea, trop préoccupé d’amener la conversation sur un terrain qui le mît à même de faire une question qui l’éclairerait, et en pensant aussi à Mordecai, avec lequel il échangeait des regards furtifs et fascinateurs. Mordecai ne portait pas de bel habit du sabbat ; il avait tout simplement remplacé sa redingote noire et râpée du matin par une autre en drap gris, qui avait dû être autrefois un paletot-sac, qu’un fréquent nettoyage avait considérablement rétréci. Ce changement d’habit donnait une accentuation plus marquée à son visage, qui aurait pu appartenir au prophète Ézéchiel, lequel, non plus, probablement, n’était pas habillé à la mode de ses contemporains. Il remarqua que l’on ne servit à Mordecai que les queues du poisson et qu’en général sa part ne dépassa pas celle assignée d’habitude à un parent pauvre.

M. Cohen tint le dé de la conversation avec beaucoup de vivacité, introduisant toujours — le juif est fier de son loyalisme — la reine et la famille royale, l’empereur et l’impératrice des Français, sujet dans lequel sa mère et sa femme entrèrent avec empressement. La jeune madame Cohen fit preuve de la mémoire la plus exacte pour les anniversaires distingués, et la vieille vint à l’aide de son fils pour apprendre à l’hôte ce qui était arrivé quand

  1. Généralement de la graine de pavot. (Note du Traducteur.)