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— Vous n’avez pas autre chose dans la poche ? fit sérieusement Jacob.

— Chut ! chut ! Jacob, mon amour ! dit la grand’mère.

Et Deronda, soucieux de discipline, répondit :

— Je ne crois pas avoir besoin de te dire cela. Notre affaire n’a de rapport qu’avec les couteaux.

Jacob le regarda dans les yeux, et décidé, selon toute apparence, à en finir, dit gravement :

— Je consens à l’échange. Puis il tendit le couteau à tire-bouchon à Deronda, qui le mit dans sa poche avec une gravité semblable.

Au même instant, le petit-fils de Shem courut dans la chambre du fond, d’où on l’entendit se livrer à un colloque rapide. Il en revenait, lorsque son père entra ; il saisit son petit chapeau de velours posé sur une chaise, le mit sur sa tête et s’avança vers lui. Cohen avait gardé son chapeau, et, sans faire attention à son visiteur, il demeura immobile pendant que les deux enfants lui embrassaient les genoux ; alors il posa les mains sur leurs têtes et prononça une bénédiction en hébreu ; la mère, qui avait pris le bébé de son berceau, l’apporta à son mari et le tint sous ses mains étendues, pour qu’il le bénît dans son sommeil. En ce moment, Deronda se dit que ce brocanteur, si fier de sa vocation, n’était pas déjà si prosaïque.

— Eh bien, monsieur, s’écria Cohen en ôtant son chapeau et en redevenant tel qu’il s’était montré d’abord, je pense que vous avez trouvé bon accueil dans ma famille. Vous êtes ponctuel. Il n’est rien comme une petite pression d’ici, fit-il en tapant sur son gousset. C’est bon pour tous et chacun à son tour ; je l’ai senti quand j’avais des payements à faire. J’ai commencé de bonne heure ; il m’a fallu beaucoup me tourner et me retourner, prendre toute sorte de formes pour entrer dans toutes les boîtes possibles. C’est salutaire pour l’esprit. Voyons maintenant.