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— Jacob-Alexandre Cohen, répondit le gamin très distinctement.

— Alors tu portes le nom de ton père ?

— Non, celui de mon grand-père. Il vend des couteaux, des rasoirs et des ciseaux, mon grand-père, dit Jacob, qui désirait faire impression sur l’étranger en lui dévoilant cette haute parenté. Il m’a donné ce couteau. En disant ces mots, il sortit de sa poche un couteau, et ses petits doigts, aussi naturellement qu’artificiellement noirs, ouvrirent avec beaucoup d’adresse deux lames et un tirebouchon.

— N’est-ce pas un amusement dangereux ? demanda Daniel à la grand’maman.

— Oh ! rassurez-vous, il ne se blessera jamais, répondit-elle en contemplant son petit-fils avec un ravissement placide.

— Est-ce que vous avez un couteau ? lui dit Jacob en s’approchant davantage. Malgré sa volubilité, sa petite voix était devenue rauque, comme si elle appartenait à l’âme d’un vieux commerçant fatigué d’avoir trafiqué à travers une foule de générations.

— Oui ; veux-tu le voir ? dit Daniel en tirant un canif de la poche de son gilet.

Jacob s’en empara vivement et se recula un peu avec les deux couteaux en main, les examinant et les comparant sérieusement. Dans cet intervalle, les autres clients étaient partis, et toute la famille s’était rassemblée pour concentrer son attention sur le merveilleux Jacob : le père, la mère et la grand’mère derrière le comptoir, avec le bébé chancelant sur ses petits pieds, et l’autre petite fille s’appuyant sur l’épaule de son frère, comme pour l’aider à évaluer les couteaux.

— Le mien est le meilleur, dit enfin Jacob en rendant le canif à Deronda, comme s’il avait eu l’idée d’un échange