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pour finir par être triste et ne penser à rien ? Est-ce que le mariage fait toujours cet effet-là ?

— Non, mon enfant, assurément non. Le mariage est le seul état heureux pour une femme, et j’espère que tu en feras l’expérience.

— Si ce n’est pas un état heureux, je n’y veux pas songer. Je suis décidée à être heureuse, au moins à ne pas gâter ma vie comme beaucoup d’autres. J’ai résolu de ne point permettre que l’on se mêle de mes affaires.

Il y eut un silence de quelques secondes, après lequel madame Davilow, qui relevait les cheveux de sa fille, lui dit :

— Je suis sûre de ne t’avoir jamais contrariée, Gwendolen.

— Vous me faites cependant faire souvent ce que je n’aime pas.

— Parles-tu des leçons que tu donnes à Alice ?

— Oui. Je le fais parce que vous me le demandez ; autrement je ne vois pas pourquoi j’y perdrais mon temps. Elle m’obsède à mourir ; elle est si indolente ! Elle n’a point d’oreille pour la musique, elle ne sait parler sur quoi que ce soit. Il vaudrait mieux pour elle rester ignorante, maman ; c’est son rôle ; elle le remplirait très bien.

— Oh ! Gwendolen, tu es bien sévère et bien dure pour ta pauvre sœur, qui t’aime tant et qui ne sait que faire pour t’être agréable ?

— Je ne vois pas ce qu’il y a de dur à appeler les choses par leur nom et à les mettre à leur juste place. La dureté est pour moi, qui perds en vain mon temps avec elle. Maintenant laissez-moi vous coiffer, maman.

— Il faut nous hâter. Ton oncle et ta tante seront bientôt ici. Pour l’amour de Dieu, ne te montres pas dédaigneuse avec eux, chère enfant, ni avec ta cousine Anna, dont tu te moquais toujours. Promets-le-moi, Gwendolen. Tu sais bien qu’Anna n’est pas ton égale.