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— Mirah, Mirah, mon enfant ! vous vous méprenez ! s’écria madame Meyrick alarmée. Dieu me garde de vouloir tenter quelque chose contre votre conscience. Je disais seulement ce qui pourrait être si le monde continuait. Mais j’aurais mieux fait de le laisser marcher tout seul et de ne pas vouloir être trop sage. Allons, pardonnez-moi ! nous n’essayerons pas de vous enlever à celui que vous croirez avoir plus de droits sur vous.

— Je ferai pour vous toute autre chose ; je vous dois la vie, dit Mirah qui n’était pas encore calmée.

— Chut ! chut ! reprit madame Meyrick. J’ai été assez punie de laisser ma langue parler follement. J’ai fait un almanach pour le millénium, comme disait mon mari.

— Mais ce monde doit finir un jour ; nous devons bien penser à cela, dit Mab incapable de garder le silence plus longtemps.

Deronda sourit à cette blonde et irrégulière figure, qui faisait un contraste étrange avec celle de Mirah. Il sourit un peu sarcastiquement — selon Mab — et dit :

— Cette perspective de la fin de toute chose ne nous mènera pas loin en pratique. Les sentiments de Mirah, elle vient de nous le dire, se rapportent à ce qui est.

Mab demeura confuse et aurait bien voulu n’avoir rien dit, puisque M. Deronda semblait penser qu’elle avait trouvé Mirah fautive ; mais, quand on a commencé à parler, c’est une raison tyrannique pour parler encore, et elle reprit :

— Je voulais seulement dire qu’il faut que nous ayons le courage d’écouter tout ; sans cela, c’est à peine s’il y aurait quelque chose dont nous pourrions parler.

Mab se sentit irréfutable, car elle penchait vers cette opinion de Socrate : « Quel motif aurait un homme de vivre, si ce n’est pour le plaisir de discourir ? »

Deronda se retira peu après, et, quand madame Meyrick