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nos lois, ayant vécu parmi les chrétiens et fait comme eux. J’ai entendu mon père se moquer de la sévérité des juifs pour leur nourriture, pour leurs coutumes et leur haine des chrétiens. Je crois que ma mère observait strictement nos prescriptions, mais elle n’aurait pas voulu que je n’aimasse pas ceux qui ont été meilleurs pour moi que pas un de mon peuple. Je lui obéirais en tout, mais pas en cela. Il est plus dans ma nature d’aimer que de haïr. Je me rappelle une pièce allemande que j’ai jouée, où l’héroïne dit quelque chose comme cela. Depuis que je suis ici, elle m’est revenue à l’esprit.

— Antigone, dit Deronda.

— Ah ! vous la connaissez ! Je suis sûre que ma mère me dirait d’aimer mes meilleurs amis, et elle aurait de la reconnaissance pour eux. Mirah, qui s’était tournée du côté de madame Meyrick, ajouta : — Oh ! si nous pouvions la retrouver et nous connaître l’une l’autre comme nous nous connaissons maintenant, quelle bénédiction ce serait pour moi ! mon âme ne voudrait qu’aimer !

— Dieu vous bénisse, mon enfant ! dit madame Meyrick, dont le cœur maternel laissa échapper ces mots ; mais pour faire taire son émotion, elle dit à Deronda :

— Il est curieux que Mirah, qui se souvient si bien de sa mère, que l’on croirait qu’elle la voit, ne puisse se rappeler son frère en rien, excepté qu’il la portait quand elle était petite et qu’il se tenait près d’elle quand elle était sur le giron de sa mère. Il était déjà grand. Quel dommage que son frère soit un étranger pour elle !

— Il est bon ; je suis sûre qu’Ezra est bon ; je le sens ! Il aimait ma mère, il voulait prendre soin d’elle. Je me souviens encore de la voix de mère quand elle l’appelait : « Ezra ! » et aussi comme il répondait : « Mère. » Mirah avait changé de ton à chacun de ces mots : — Je suis sûre qu’il est bon ; cette idée a toujours été ma consolation.