Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il alla s’asseoir sur le même banc qu’un vieillard dont la remarquable figure et les vêtements étaient aussi usés que son talith, espèce de couverture blanche, bordée de raies bleues, qui est le vêtement de prière ; sa longue barbe blanche et son vieux chapeau de feutre encadraient un profil qui pouvait être aussi bien italien qu’hébreu. Leurs yeux se rencontrèrent, et aussitôt le vieillard poussa jusqu’à lui un livre de prières ouvert, ce dont il le remercia en s’inclinant. Pendant ce temps-là, les talithim étaient devenus plus nombreux, le ministre officiant était monté sur l’almémor, ou plate-forme, et l’office commença. Deronda ayant consulté la traduction allemande du livre qui était devant lui, reconnut que ces prières étaient des fragments tirés des psaumes et de l’Ancien Testament ; il se laissa aller à l’effet puissant que produit le chant des liturgies, effet complètement indépendant de la signification verbale, comme celui du Miserere d’Allegri, ou du Magnificat de Palestrina. La liturgie juive, comme les autres, a ses litanies, son lyrisme et ses bénédictions ; ce soir-là, tout ne faisait qu’un pour Deronda : la voix retentissante du chazan ou lecteur[1], avec ses passages fréquents de la monotonie à des exclamations tonnantes ; les voix douces des enfants placés dans le chœur ; le mouvement dévot des hommes balançant leurs corps en avant et en arrière ; l’air commun de la salle et la mesquinerie de la scène, où cependant une foi nationale qui avait pénétré la pensée de la moitié du monde, et jeté dans son moule les admirables formes de cette religion du monde, trouvait un écho lointain : tout se confondait pour lui comme l’expression d’une histoire tragique mais glorieuse. Il s’étonnait de la force de ses propres sensations. Il entendait un chant cohérent avec un refrain de regret passionné, et s’il avait connu la

  1. Ministre officiant.