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mère, avait fait surgir devant lui la réalité, que le judaïsme était une foi qui faisait encore palpiter le cœur des hommes, et qui leur paraissait la seule parure concevable du monde. Dans l’excursion qu’il venait de faire avec sir Hugo, il avait un peu fréquenté les synagogues et il avait recherché les livres relatifs aux israélites. Ce fut pendant ce voyage qu’il entra pour la première fois dans une synagogue, à Francfort, où sa société s’arrêta un vendredi. En parcourant la rue des Juifs, dont il avait déjà vu et depuis longtemps les vieilles maisons si pittoresques, ses yeux se fixèrent tout particulièrement cette fois sur les types humains, et sa pensée, les rattachant au passé de leur race, remua la fibre de sympathie historique qui avait déterminé en lui certains traits dignes d’être mentionnés. Sous son extérieur calme, se cachait une ferveur qui lui faisait facilement trouver de la poésie dans les événements quotidiens, et la rue des Juifs, éveillant en lui ce sentiment, le fit rêver à deux éléments de notre vie historique : les faibles commencements d’une croyance et des institutions, et leur lente et obscure décadence. Ce mouvement d’imagination, lorsqu’il sortit de la rue des Juifs pour aller à la synagogue, neutralisa l’effet répulsif de certains petits incidents dont il avait été témoin. Ainsi, étant entré dans une boutique de libraire pour demander l’heure de l’office, il fut affectueusement renseigné par un jeune israélite, qui lui conseilla de ne pas aller dans le bel édifice neuf des réformés, mais dans la vieille schule rabbinique des orthodoxes ; puis, en vrai Teuton, il le trompa sur le prix d’un livre qu’il disait nicht so leicht zu bekommen[1]. Il paya le thaler qu’on lui demandait de trop et se rendit à la rabbinische schule, où il entra au coucher du soleil en même temps que d’autres arrivants.

  1. Pas facile à se procurer.