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pas la moitié de la religion de son peuple, fit observer Amy quand Mirah fut allée se coucher. Peut-être sa croyance disparaîtrait-elle graduellement de son cœur et adopterait-elle le christianisme, comme le reste du monde, si elle venait à nous aimer beaucoup et si elle ne retrouvait jamais sa mère. C’est si étrange de professer la religion juive maintenant !

— Oh ! oh ! oh ! s’écria Mab ; je voudrais ne pas être si mauvaise chrétienne. Comment une chrétienne qui laisse toujours tomber son ouvrage pourrait-elle convertir une juive sans défauts ?

— C’est peut-être méchant de ma part, dit la prudente Kate, mais je ne puis m’empêcher de désirer qu’elle ne retrouve plus sa mère. Cela pourrait être si désagréable !

— Je ne le crois pas, ma chère, répliqua madame Meyrick ; Mirah doit être taillée sur le patron de sa mère. Quelle joie ce serait pour cette mère si on lui ramenait une telle fille ! Mais les sentiments d’une mère ne valent pas la peine qu’on les compte, ajouta-t-elle en jetant un regard malicieux sur ses filles, et une mère morte vaut bien mieux qu’une mère vivante.

— C’est possible, petite mère, répondit Kate ; mais nous préférons vous tenir pour moins chère et vous avoir en vie.

Depuis l’apparition de Mirah, non seulement les dames Meyrick, mais encore Deronda, avec toute son instruction, avaient pu se convaincre de leur ignorance du judaïsme moderne et de la vie juive intime. On a communément regardé le peuple élu comme un peuple choisi pour le bien d’un autre, et sa croyance comme quelque chose de complètement différent. Deronda avait toujours envisagé le judaïsme comme une foi excentrique et fossile qu’un homme accompli peut se dispenser d’étudier en en laissant le soin aux spécialistes. Mais Mirah, par sa fuite loin de son père, par ses élans de tendresse envers sa