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plaindre quand il vous aura rendue malheureuse ? Vous l’avez pris les yeux ouverts. Le tort volontaire que vous m’avez fait sera votre malédiction. »

Les yeux de Gwendolen ne pouvaient se détacher de ces horribles lignes qu’elle lut et relut et qui lui parurent une condamnation. Un nouveau spasme de terreur la saisit, et, sans réfléchir davantage, elle se pencha en avant et jeta la lettre au feu, de crainte que l’accusation et la preuve ne frappassent tous les yeux. Le billet s’envola de ses doigts frémissants ; la flamme l’enveloppa de ses replis et le réduisit en cendres. Dans le mouvement qu’elle avait fait, les diamants avaient roulé par terre ; elle n’y prit pas garde et retomba sur son fauteuil anéantie, écrasée. Les glaces qui l’entouraient réfléchissaient son image terrifiée, mais elle ne voyait rien ; ses dents claquaient, ses lèvres et ses mains tremblaient et tout son corps frissonnait d’épouvante. Elle demeura longtemps ainsi, défaillante, insensible, et n’entendant rien que ces paroles écrites qui ne cessaient de vibrer en elle et de tinter à ses oreilles. Ces bijoux étaient empoisonnés ; leur venin s’était glissé dans les veines de la pauvre jeune femme.

Un coup léger frappé à la porte annonça Grandcourt qui entra, habillé pour le dîner. Sa vue la jeta dans une nouvelle crise hystérique ; elle ne put retenir des cris d’angoisse et se tordit dans une attaque de nerfs des plus violentes. Il s’attendait à la trouver parée, souriante et prête à le suivre : il la voyait pâle, les traits décomposés affolée de terreur et les diamants épars sur le tapis. Était-ce un accès de démence ?

De toute façon, les Furies avaient passé le seuil de sa demeure.