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madame Glasher ; ce n’était qu’un navire perdu, à la recherche duquel personne ne songeait à envoyer une expédition ; Grandcourt, au contraire, rentrait au port avec ses couleurs flottant au vent et aussi prêt que jamais à reprendre la mer.

Cependant, Grandcourt ne s’était jamais affranchi complètement du lien qui l’attachait à madame Glasher. Sa passion pour elle avait été la plus forte et la plus persistante qu’il eût connue, et, quoi qu’elle fût alors éteinte, elle avait laissé en lui des traces si profondes, qu’à la mort du colonel, arrivée trois ans plus tôt, il avait eu pour un instant l’intention de l’épouser, conformément à la convention souvent exprimée entre eux pendant les jours de leur première flamme. À cette époque, Grandcourt aurait payé bien cher la liberté de s’unir à elle en faisant prononcer le divorce ; mais le mari s’y opposa toujours, ne tenant pas à se remarier lui-même et ne voulant pas se donner en évidence au public.

Les changements que les années apportèrent dans l’esprit de madame Glasher, produisirent un effet diamétralement contraire. D’abord elle se montra indifférente sur la possibilité du mariage. Il lui suffisait de s’être échappée des mains d’un mari quinteux, désagréable, et d’avoir trouvé une sorte de bonheur dans les bras d’un amant jeune, beau, passionné pour elle et qui l’avait complètement fascinée. Elle était vive, ardente, avide d’adoration, exaspérée par un esclavage conjugal de cinq années ; la sensation de soulagement que lui fit éprouver sa délivrance était si forte, qu’elle fit taire toute anxiété. Sa position équivoque lui importait peu ; la seule tache qui déparait son horizon de bonheur était l’idée d’avoir abandonné son petit garçon âgé de trois ans, qui mourut peu après sa fuite.

Mais aujourd’hui que les années avaient exercé leurs ravages sur ses charmes et tout changé autour d’elle, le