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— Je crains que vous ne sachiez rien de ce qui nous est arrivé. J’ai eu, depuis peu, tellement à penser aux chagrins de ma mère, que tous les autres sujets ont dû être rejetés au second plan. Elle a perdu sa fortune et nous allons quitter Offendene. Veuillez donc m’excuser si je parais préoccupée.

En éludant un appel direct, Gwendolen recouvra la pleine possession d’elle-même ; elle parla avec dignité et regarda bien en face Grandcourt dont les yeux longs, étroits et impénétrables étaient fixés sur les siens.

— Vous me direz maintenant, je l’espère, reprit-il de son ton de voix indifférent, comme s’il s’agissait d’une chose sans importance, que la perte de fortune de madame Davilow ne doit pas vous chagriner plus longtemps. Vous me laisserez le soin d’empêcher qu’elle n’en sente le poids ; vous me donnerez le droit d’y pourvoir.

Gwendolen se sentait de plus en plus indécise ; elle se voyait à la croisée de deux chemins : lequel choisir ?

— Vous êtes généreux, dit-elle, sans lever les yeux et avec une émotion contenue.

— Acceptez-vous la situation qui rendra la chose toute naturelle ? dit Grandcourt sans plus d’empressement qu’avant. Consentez-vous à devenir ma femme ?

Cette fois, Gwendolen pâlit. En dépit d’elle-même, elle fut obligée de quitter sa chaise et de s’éloigner un peu. Puis elle revint et demeura silencieuse, les mains croisées devant elle. Grandcourt aussi se leva et posa son chapeau sur sa chaise. L’hésitation de cette fille ruinée à accepter son offre splendide était pour lui d’un intérêt plus piquant que tout ce qu’il avait vu depuis bien des années, surtout parce qu’il attribuait son hésitation à ce qu’elle savait de madame Glashep. Il reprit :

— M’ordonnez-vous de partir ?

— Non, dit Gwendolen, forcée d’en venir à cette terrifiante décision.