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estimable en supportant vaillamment le lot qui vous est échu.

— Je sais bien que je ne l’aimerai jamais, répondit-elle, mais je sais aussi que je suis obligée de m’y soumettre.

Hélas ! elle se souvint qu’elle s’était déjà soumise à son avis en une occasion bien différente, et elle se disait qu’elle aurait préféré cet avenir tout différent.

— Votre bon sens vous apprendra à le supporter patiemment, dit M. Gascoigne avec gravité ; je suis sûr que vous plairez à madame Mompert. Vous savez comment il faut vous conduire avec une femme qui, sous tous les rapports, vous est supérieure. Cette peine vous arrive pendant votre jeunesse, et cela seul vous aidera à la supporter plus facilement.

Mais c’était précisément ce dont Gwendolen était incapable, et, quand elle fut seule, après le départ de son oncle, les larmes amères, qui étaient rarement venues à ses yeux depuis ses derniers chagrins, roulèrent lentement sur ses joues. Son cœur se refusait à admettre que sa peine fût facile à supporter parce qu’elle était jeune. Quand aurait-elle dû avoir du bonheur, sinon pendant ses années de jeunesse ? « J’ai toujours senti, pensait-elle, même étant toute petite, que maman n’était pas heureuse, et, aujourd’hui, je puis dire que je suis plus malheureuse qu’elle. Pauvre mère ! c’est encore pis pour elle que pour moi ! Je gagnerai un peu d’argent pour elle. C’est la seule chose dont je doive avoir souci maintenant. » Et alors elle sanglota, non avec colère, mais avec une mélancolie douloureuse. Sa mère entra en cet instant et la vit essuyer ses larmes. Elle lui jeta les bras au cou. À cette sensation, la force de volonté de Gwendolen l’abandonna tout à fait, et ses sanglots, auxquels se mêlèrent ceux de sa mère, se firent jour en dépit d’elle-même.

Madame Davilow apportait un papier qui lui avait déjà