Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le seul qu’elle éprouvât fut de n’avoir que neuf louis en sus des quatre qui lui restaient encore. Mais elle était chez les Langen ; elle occupait gratis une chambre de leur appartement ; il était préférable de se contenter de treize louis que de leur emprunter de l’argent. En admettant même qu’elle se décidât à en risquer trois, les dix restants seraient plus que suffisants, puisqu’elle entendait voyager nuit et jour sans s’arrêter. Revenue à l’hôtel, en attendant qu’on servît le déjeuner, elle hésitait encore sur son départ immédiat : en tout cas, elle dirait aux Langen qu’elle avait reçu de sa mère une lettre qui la pressait de revenir, en laissant indécis le moment où elle devrait partir. Elle en était là de ses réflexions lorsqu’elle entendit ouvrir la porte ; elle se leva, s’attendant à voir l’un ou l’autre des Langen ; c’était un domestique apportant pour miss Harleth un petit paquet qu’on avait déposé chez le portier. Gwendolen le prit et courut dans sa chambre. Elle était plus pâle et plus agitée qu’en lisant la lettre de sa mère : Même avant d’ouvrir le paquet, elle devina qu’il contenait le collier dont elle venait de se défaire. Il était enveloppé, sous le papier, dans un mouchoir de batiste, et on y avait joint le billet suivant, écrit précipitamment au crayon : « Un étranger qui a trouvé le collier de miss Harleth le lui rend, avec l’espoir qu’elle ne s’exposera plus à le perdre. »

La rougeur de l’orgueil offensé monta aux joues de Gwendolen. On avait arraché un coin du mouchoir pour en faire disparaître la marque ; mais qu’importe ! elle savait le nom de « l’étranger ». C’était Deronda. Il l’avait vue entrer dans la boutique et y était venu, immédiatement après elle, racheter le collier. Il avait pris là une impardonnable liberté, qui la mettait dans une position cruelle. Que faire ? Lui retourner le collier ? C’était lui dire qu’on l’avait deviné et s’exposer non seulement à une méprise, mais encore à la honte. Ne savait-il pas qu’il