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n’en trouvant pas à sa convenance, elle replia la lettre en disant :

— Il nous écrit que nos infortunes ont fait de lui un homme ; il voit un sérieux motif pour travailler : il veut arriver à l’agrégation, aider à l’éducation de ses frères et tâcher de devenir remarquable. Sa lettre est pleine d’enjouement, tout à fait comme lui. Nous l’avons reçue vendredi dernier. Je n’ai jamais vu mon mari aussi ému depuis la naissance de Rex. C’est un gain qui balance notre perte.

Cette lettre avait, en effet, aidé les dames Gascoigne à témoigner une véritable affection à Gwendolen ; elle-même se sentit plus à son aise ; elle sourit à Anna comme pour lui dire : « Il n’y a plus rien de fâcheux entre nous ». Elle n’était pas méchante et ne cherchait pas son plaisir dans le sentiment égoïste qui pousse à rendre les hommes malheureux ; elle tenait seulement à ce qu’ils ne la fissent pas malheureuse.

Malgré sa robuste santé, sa répugnance pour la nouvelle position qui s’offrait à elle l’affecta, même physiquement ; elle était comme engourdie ; elle ne pouvait s’appliquer à rien : elle trouvait le besoin de manger fastidieux ; elle évitait la conversation des autres ; car elle ne corroborait pas ses sentiments ; elle était exaspérée à l’idée de ne pouvoir s’opposer à ce qu’elle détestait. Elle ne voulut pas retourner au presbytère, trouvant intolérable d’avoir à feindre pour faire croire qu’elle se soumettait de bon gré. Je sais bien, se disait-elle, qu’il me faudra feindre plus tard, mais pourquoi commencerais-je dès maintenant ?

Un jour qu’elle était dans sa chambre à coucher avec sa mère, qui arrangeait les objets de toilette de sa fille, Gwendolen se leva tout à coup, et alla prendre son coffret à bijoux.

— Maman, j’avais totalement oublié ceci, dit-elle en l’ouvrant. Pourquoi ne m’en avez-vous pas fait souvenir ? Il faut