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croyait toujours pouvoir faire ce que Klesmer déclarait impossible. — Je supposais que j’avais assez de moyens pour perfectionner mon peu de talent.

— Je ne le nie pas, s’écria Klesmer. Si vous aviez été mise en bon chemin, il y a plusieurs années, et si vous aviez bien travaillé, vous auriez pu devenir une chanteuse, encore bien que je doute que votre voix eût été goûtée du public.

Gwendolen n’était pas encore convaincue ; elle résista et reprit :

— Je conçois que l’on ne soit pas actrice accomplie d’un seul jet, et il serait impossible de dire si je réussirai ; c’est une raison de plus pour essayer. Je croyais pouvoir trouver un engagement dans un théâtre, afin de gagner de l’argent et étudier en même temps.

— Impossible, ma chère miss Harleth ! je vous parle sincèrement, cela ne se peut pas. Malgré toutes vos grâces et tous vos charmes, si vous vous présentiez à un directeur, il vous demanderait, comme à un amateur, de payer pour jouer ; ou bien il vous dirait d’aller apprendre à vous tenir sur la scène, d’étudier l’art au moyen duquel vous pourrez personnifier un rôle, l’animer du visage, du geste et de la voix. Quant à obtenir de but en blanc un engagement, chassez cette chimère de votre esprit.

— Je ne comprends pas cela, dit Gwendolen avec une certaine hauteur. Expliquez-moi donc comment on voit tant de mauvaises actrices trouver des engagements. — J’ai été quelquefois au théâtre, et j’y ai vu des actrices presque nulles, et jouant fort mal.

— Ah ! chère miss Harleth, la critique est facile. Excusez ce que je vais vous dire : mais vous ne pourriez rien apprendre à ces actrices toutes mauvaises qu’elles sont, au lieu qu’elles pourraient vous enseigner bien des choses. Ainsi, il faut de la pratique pour savoir se tenir et marcher