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chaleur, non, vous ne pourriez rien faire de mieux, ni vous ni d’autres, si vous étiez à même de le faire bien. Loin de déprécier la carrière du véritable artiste, je l’exalte. Elle est hors de la portée de ceux qui n’ont pas une organisation d’élite, une nature aimant la perfection et résolue à s’y consacrer, prête à souffrir et à attendre. Oui, c’est une honorable vie, mais il faut une vocation décidée, irrésistible.

Klesmer se ressentait encore des émotions de la veille et avait un peu dépassé la limite qu’il s’était imposée. Il avait voulu faire comprendre délicatement à Gwendolen qu’elle n’était pas faite pour cette carrière épineuse et difficile ; mais les prétentions affichées par les incapables l’irritaient et il était sur le point de s’emporter. Il s’en aperçut et se contint. Gwendolen fut péniblement impressionnée ; mais elle se dit qu’il ne lui avait pas refusé la faculté de faire ce qui était bon en ce genre ; elle était convaincue d’ailleurs qu’en se présentant devant le public, elle produirait un effet aussi certain sur la scène que dans la vie privée. Elle reprit donc avec plus d’insistance :

— Je suis prête à me soumettre à toutes les fatigues et à tous les travaux. On ne peut naturellement devenir célèbre du premier coup, et il n’est pas nécessaire que les actrices soient de premier ordre. Si vous vouliez me dire la marche à suivre, je la prendrais avec courage. Je n’ai pas l’ambition d’atteindre le sommet de montagne ; mais, en tous cas, je préfère la gravir que de suivre le terrain plat de la carrière de gouvernante.

Klesmer comprit qu’il fallait parler plus clairement.

— Je vais donc vous dire la marche que vous serez forcée d’adopter. Il faudra partir pour Londres avec votre mère. Là, vous devrez apprendre tout… — Ici, Gwendolen voulut parler, mais il l’arrêta d’un geste et continua : — Je sais. Vous avez déjà exercé vos talents ; vous déclamez, vous