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— Je vous serai fort obligée de me donner votre avis, quel qu’il soit.

— Miss Harleth, dit Klesmer en se tournant vers elle, je ne vous cacherai rien ; je me considérerais comme un malhonnête homme si je ne vous disais pas la vérité tout entière. Dieu me garde de leurrer une jeune personne si belle, si gracieuse, et qui, j’en ai la conviction, est née pour le bonheur.

Gwendolen sentit battre son cœur en entendant ces mots solennels et inattendus ; elle regarda d’un œil interrogateur Klesmer qui continua :

— Vous êtes belle et jeune ; vous avez été élevée dans l’aisance ; vous avez fait toutes vos volontés ; vous ne vous êtes jamais dit : il faut que je comprenne ceci ; il faut que je connaisse ceci ; il faut que je fasse ceci ! » En prononçant ces trois il faut, Klesmer leva successivement trois de ses grands doigts. — Bref, vous avez été appelée à n’être qu’une femme charmante, que l’on ne peut trouver en faute qu’en commettant une impertinence ou une impolitesse. Et c’est avec cette préparation que vous voulez embrasser une carrière de travail incessant, ardu, et de réussite incertaine ! Il faudra tâcher d’atteindre à cette réussite comme il faudra tâcher de gagner votre pain, et cela n’arrivera que lentement, chétivement, et encore, si cela arrive !

Ces paroles décourageantes, que Klesmer espérait devoir suffire pour ne pas l’obliger à en dire davantage, provoquèrent la résistance de Gwendolen, qui dit d’un air un peu piqué :

— Je croyais que vous, artiste, considériez cette carrière comme l’une des plus honorables et des plus dignes d’envie. Puis-je rien faire de mieux ? Ne m’est-il pas possible de l’entreprendre aux mêmes risques que d’autres ?

— Non, ma chère miss Harleth, s’écria Klesmer avec