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renoncer et de quitter la maison, reprit M. Arrowpoint qui ne se souciait pas d’entamer la question d’argent.

— Je ne puis renoncer à rien, répondit enfin Klesmer, sans le consentement de mademoiselle votre fille. Elle a ma parole.

— Inutile de discuter, répondit aigrement madame Arrowpoint. Nous ne consentirons jamais à ce mariage. Si Catherine nous désobéit, elle sera déshéritée. Vous n’épouserez pas sa fortune ; il est bon que vous le sachiez.

— Madame, si j’ai jamais regretté quelque chose, c’est qu’elle ait de la fortune. Seulement, je dois lui demander si elle ne trouve pas que le sacrifice de cette fortune soit plus grand que je ne le mérite.

— Ce n’est point un sacrifice pour moi, répondit Catherine ; car j’ai toujours considéré cette fortune comme une malédiction pour moi. Je ne regrette qu’une chose : c’est de faire de la peine à mes parents.

— Tu nous défies alors ? cria madame Arrowpoint.

— Non ; je ne veux qu’épouser M. Klesmer, dit fermement Catherine.

— Il fera bien de ne pas compter sur notre indulgence ; car il agit comme un aventurier, hurla madame Arrowpoint, dont les manières se ressentaient de l’impunité dans l’insulte, qui est un des privilèges des femmes.

— Madame, dit Klesmer, je ne vous détaillerai pas les raisons qui me défendent de relever vos paroles. Mais veuillez bien comprendre que je considère comme hors de votre pouvoir et de celui de votre fortune de me conférer quoi que ce soit que j’apprécie. Je me suis fait moi-même ma position d’artiste ; je me suis élevé seul au rang que j’occupe dans le monde des arts, et je ne l’échangerais contre nul autre. Je suis à même de nourrir votre fille, et je ne demande d’autre changement dans ma vie que le bonheur de la nommer ma compagne.