Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raisons que celle de me voir épouser un noble ou un homme qui peut être ennobli parce qu’il vote avec un certain parti. Je me crois libre de me donner à celui que je juge digne de moi, à moins qu’un devoir plus élevé ne me le défende.

— Mais il en est ainsi, Catherine, quoique tu sois aveuglée et que tu ne veuilles pas le voir ! Le devoir d’une femme est de ne pas s’avilir. Et tu te rabaisses toi-même. Monsieur Arrowpoint, faites-moi la grâce de dire à votre fille ce qu’est son devoir.

— Tu dois comprendre, Catherine, dit M. Arrowpoint, que Klesmer n’est pas un homme pour toi. Il ne ferait pas bonne figure à la tête de nos domaines. Il a un diable d’aspect étranger ; enfin ce n’est pas un homme pratique.

— Mon cher papa, je ne vois nullement en quoi cela m’importe. La terre d’Angleterre a souvent passé dans les mains des étrangers : soldats hollandais, fils de femmes étrangères, etc.

— Il ne sert à rien de discuter sur le mariage, Kate, reprit le père. Ce n’est pas l’usage de traiter ce sujet comme une question parlementaire. Nous devons faire comme les autres. Nous devons penser à la nation et au bien public.

— Je ne vois pas que le bien public soit en question ici, papa ; pourquoi exigerait-on d’une héritière qu’elle mît une fortune gagnée dans le commerce entre les mains d’une certaine classe ! Cela me paraît absurde ; ce sont des mœurs hors de saison et le simple résultat d’une sotte ambition. Je l’appellerais plutôt un mal public.

— C’est là un pur sophisme, Catherine, dit madame Arrowpoint. De ce que tu ne veux pas épouser de noble, il ne s’ensuit pas que tu sois obligée de te donner à un saltimbanque, à un charlatan !

— Je ne comprends pas à qui s’appliquent ces paroles, maman.