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— Ce serait une impertinence impardonnable si je nourrissais quelque espoir. Mais ceci est hors de question ; je ne compte sur rien de semblable. N’avez-vous pas dit un jour que votre lot était de soupçonner que tout homme qui vous ferait la cour ne vous courtiserait pas par amour pour vous ? Ne l’avez-vous pas dit ?

— Je crois que oui, murmura-t-elle.

— Le mot était amer. Eh bien, écoutez-moi : un homme qui a vu autant de femmes qu’il y a de fleurs en été, languit d’amour pour vous, et comme vous ne pourrez jamais l’épouser, vous le croirez. Mais, je vous en supplie, ne vous donnez pas en pâture à ce minotaure de Bult. Allons ! je vais emballer et partir. Vous ferez mes excuses à madame Arrowpoint.

Il se leva et se dirigea vers la porte.

— Il faut d’abord que vous preniez ces manuscrits, dit Catherine en faisant un effort désespéré.

Elle s’était levée pour mettre les papiers sur une autre table. Klesmer revint pour l’aider et ils ne furent séparés que par la longueur des feuilles de papier.

— Pourquoi n’épouserais-je pas l’homme qui m’aime, si je l’aime aussi ? demanda Catherine.

— Ce serait trop difficile… impossible,… vous ne réussiriez pas. Je ne suis pas digne des efforts que vous seriez obligée de faire. Je ne puis accepter ce sacrifice ; on dirait que c’est une mésalliance de votre part, et je m’exposerais aux plus méprisables accusations.

— Sont-ce les accusations qui vous effrayent ? Moi, je n’ai peur que d’une chose : c’est de ne pas passer notre vie ensemble.

Le mot décisif était lâché ; ils ne pouvaient plus douter de ce qu’ils voulaient tous deux. Une seule voie restait ouverte pour y arriver, et Catherine résolut de la prendre sur-le-champ. Elle alla trouver ses parents dans la bibliothèque