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envers la société la contraignissent à épouser un noble ou un membre de la Chambre des communes en passe d’être ennobli ; ils éprouvaient de la contrariété en voyant sa persistance à refuser des partis très sortables. Quant à la possibilité qu’elle s’éprît de Klesmer, ils n’y pensaient seulement pas ; mais l’heure de l’étonnement allait sonner pour eux.

Quand une passion commence entre une riche héritière et un homme indépendant, au caractère fier, il leur est d’abord difficile de se comprendre. L’éloignement indéfini de l’un ou de l’autre peut seule l’éteindre. Mais des rencontres fréquentes après de courtes absences, sont très puissantes pour amener une déclaration, et plus puissantes encore sont les relations répétées, alimentées par une sympathie de goûts et par d’admirables qualités des deux côtés, surtout quand l’un occupe la position de maître, et quand l’autre est persuadée d’acquérir un talent qui réjouit le professeur. Cette situation, fameuse dans l’histoire, n’a pas moins de charmes aujourd’hui qu’à l’époque d’Abélard.

Les Arrowpoint étaient loin d’y penser lorsque, pour la première fois, ils engagèrent Klesmer à venir à Quetcham. Avoir chez soi un grand musicien est un des privilèges de la fortune ; et puis le talent de Catherine valait la peine d’être perfectionné. Klesmer n’était pas encore un Liszt, adoré de toutes les femmes de l’Europe civilisée ; l’eût-il été, que ce n’était pas une raison pour qu’il fît la cour à une héritière et qu’il lui demandât sa main. Pas un musicien honorable ne se conduirait ainsi. Encore moins eût-il été concevable que Catherine lui fournît le plus petit prétexte à une telle audace. Pour les Arrowpoint, Klesmer était aussi peu dangereux qu’un valet de pied.

Klesmer, homme d’honneur avant tout, semblait avoir été favorisé de tous les dons par la nature, mais particulièrement de celui de la musique. Son arrogance et sa