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était déjà si affaibli, qu’elle ne prêta aucune attention à ces paroles suppliantes.

— Maman, je ne puis me figurer que toute votre fortune soit perdue. Comment avez-vous pu vous en assurer en si peu de temps ? Il n’y a pas huit jours que vous m’avez écrit.

— Les premières nouvelles en sont arrivées beaucoup plus tôt, ma chérie ; mais je n’ai pas voulu gâter ton plaisir avant que cela fût absolument nécessaire.

— Quelle vexation ! s’écria Gwendolen dans un nouvel accès de colère. Si je l’avais su, j’aurais pu rapporter l’argent que j’avais gagné ; l’ignorant, je suis restée et je l’ai reperdu. J’avais à peu près deux cents livres ; nous aurions pu vivre quelque temps, jusqu’à ce que j’eusse formé un autre plan. Elle se tut un instant et reprit avec plus d’impétuosité : — Tout m’a été contraire ! les gens ne m’ont approchée que pour me nuire !

Les « gens », c’était Deronda. S’il ne s’était pas mêlé à sa vie, elle serait retournée au jeu et aurait pu regagner ce qu’elle avait perdu.

— Résignons-nous à la volonté de la Providence, mon enfant, dit la pauvre madame Davilow, effrayée de cette révélation.

Elle croyait que par « gens », sa fille avait voulu désigner Grandcourt ; mais ses lèvres étaient scellées sur ce nom. Gwendolen reprit aussitôt :

— Mais, moi, je ne me résigne pas. Je lutterai tant que je pourrai. Pourquoi appeler Providence ce qui n’est que la scélératesse des hommes ? Vous m’avez dit dans votre lettre que c’est la faute de M. Lassmann si nous sommes ruinées. A-t-il donc tout emporté ?

— Non, ma chérie ; tu n’as pas bien compris. Il a fait de grandes spéculations ; il comptait gagner. Il avait tout placé dans des mines. Il a trop risqué.

— Je n’appelle pas cela providence ou prévoyance. Il a