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— Pas précisément. Cependant, ne fais point d’extravagances… Oui ! oui ! je sais : tu n’y es pas porté par goût ; mais tu n’auras besoin de te priver de rien. Tu auras un revenu de garçon ; assez pour être à l’aise. Compte sur sept cents livres par an. Tu peux te faire avocat, écrivain, entrer dans la politique, c’est même ce qui me plairait le mieux ; j’aimerais à te sentir à mes côtés et à te voir ramer avec moi.

Daniel parut embarrassé. Il sentait bien qu’il aurait dû parler de sa gratitude ; mais les sentiments qui se pressaient en foule dans son cœur le rendaient muet. Il brûlait de questionner le baronnet sur sa naissance, et pourtant il lui fut impossible d’en rien dire, plus impossible encore d’en entendre parler. La libéralité de sir Hugo à son égard l’étonnait, car il savait que, peu de temps auparavant, il avait eu besoin de se faire de l’argent afin de mieux pourvoir ses filles. Il finit par s’imaginer que la provision faite pour lui provenait de sa mère ; mais cette conjecture vague ne lui sembla pas fondée et s’évanouit aussi vite. Sir Hugo parut n’avoir rien observé de particulier en Daniel et continua de son ton amical :

— Je suis content qu’outre les classiques, tu aies fait de bonnes études et que tu aies mordu au français et à l’allemand. À moins qu’un homme ne veuille avoir le prestige et le revenu d’un Don, ce n’est pas la peine d’en faire une machine à grec et à latin. Certes, il est beau de pouvoir écrire en grec et en latin ; mais, dans la vie pratique, on n’en a pas l’occasion. Cependant, j’ai vu des Dons faire très bonne figure en société ; on a besoin de tels hommes et, si tu veux adopter cette carrière, je n’aurai rien à dire contre ta détermination.

— Je crois que j’aurai peu de chances d’arriver. Quicksett et Puller sont bien plus forts que moi. J’espère que vous ne serez pas désappointé si je ne remporte pas de prix.