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Mallinger avait déjà trois filles, charmants babys à la vérité, mais dont la naissance avait été acceptée avec mélancolie, le rejeton désiré étant un fils. Si sir Hugo n’avait point d’héritier mâle, la succession devait échoir à son neveu Mallinger-Grandcourt. Daniel ne conserva plus de doute sur sa naissance ; il était convaincu que sir Hugo était son père, et il concevait que le baronnet, puisqu’il ne voulait jamais aborder ce sujet, désirât qu’il comprît le fait et qu’il se tût.

Un jour, vers la fin des grandes vacances et avant de partir pour Cambridge, il dit à sir Hugo :

— Que désirez-vous que je sois, monsieur ?

Ils se trouvaient ensemble dans la bibliothèque, où le baronnet l’avait fait appeler pour lui lire une lettre d’un Don[1] de Cambridge qu’il avait voulu intéresser à Deronda ; le moment lui parut favorable pour aborder le grave sujet qui n’avait pas encore été discuté à fond.

— Tout ce que tu voudras, mon garçon. J’ai cru devoir te proposer la carrière militaire ; tu n’as pas voulu en entendre parler et j’en ai été heureux. Ne choisis pas aujourd’hui ; laisse cela pour plus tard, quand tu auras mieux regardé autour de toi et que tu te seras mêlé aux hommes. L’Université ouvre au large la porte du Forum. On peut y remporter des prix, et le succès fixe toujours notre choix. D’après ce que j’ai vu et entendu, je crois que tu pourras entreprendre ce qui te plaira. Jusqu’ici, tu as nagé en pleines eaux classiques, et, si tu en es fatigué, c’est à Cambridge que tu pourras le mieux étudier les mathématiques.

— Mais, monsieur, dit Daniel en rougissant, il me semble que gagner de l’argent est aussi de quelque importance. J’aurai à travailler pour moi-même plus tard.

  1. Ce mot Don est une qualification qui équivaut à celle de maître et que l’on donne, en Angleterre, aux professeurs des universités d’Oxford et de Cambridge. (Note du traducteur.)