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— Le bonheur de vous connaître me fait regretter le temps que je perds en incertitude. Aimez-vous l’incertitude ?

— Mais oui, dit Gwendolen en le regardant avec un sourire ; on peut y trouver du plaisir.

Grandcourt accueillit ce sourire avec son même regard indolent et vague.

— Voulez-vous dire que vous trouvez du plaisir à me tourmenter ?

Gwendolen, en ce moment, éprouva quelque chose de si étrange, qu’elle n’eut plus conscience d’elle-même. Rougissant et détournant les yeux, elle dit :

— Non, j’en serais fâchée.

Grandcourt aurait bien voulu continuer l’entretien, car le changement de manières de Gwendolen et sa réponse décelaient une inclination à céder enfin à ses désirs ; mais il ne se sentait pas épris au point de ne pas voir qu’ils étaient exposés aux regards de ceux qui revenaient de Green-Arbour. Il lui tendit la main pour l’aider à descendre le sentier un peu rapide : elle l’accepta et ils marchèrent sans rien se dire, observés minutieusement par les personnes restées en bas, et, entre autres, par madame Arrowpoint auprès de laquelle le hasard avait amené madame Davilow. La châtelaine de Quetcham avait la persuasion alors que les mérites de Grandcourt n’étaient pas de ceux qui auraient charmé Catherine, elle qui avait refusé lord Hogan.

— Comme homme, dit-elle de sa voix rauque, M. Grandcourt ne vaut pas son oncle, sir Hugo Mallinger ; il est trop langoureux. Il est certainement beaucoup plus jeune, mais je ne serais pas étonnée que sir Hugo lui survécût, malgré la différence d’âge. C’est toujours scabreux de calculer sur les successions !

— Vous avez bien raison, dit madame Davilow avec d’autant plus de douceur qu’elle était plus satisfaite de la