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cheval, mais son plaisir ne s’exhalait pas dans un babil enfantin, dans une exubérance joyeuse, comme elle l’avait fait pendant sa course matinale avec Rex. Elle parlait peu, et, quand elle riait, c’était avec si peu d’éclat, que l’on aurait dit un écho. Ce n’est pas qu’elle fût asservie par la volonté de Grandcourt, ni qu’elle réfléchît à l’enivrant avenir qu’il lui offrait ; non ! Gwendolen voulait que tous, y compris Grandcourt lui-même, fussent bien persuadés qu’elle ne voulait faire que ce qui lui plairait. Si elle se décidait à l’accepter pour son mari, il fallait bien qu’il sût qu’elle ne renoncerait pas à sa liberté, ou, selon sa formule favorite « qu’elle ne ferait pas comme les autres femmes ».

— Comment trouvez-vous l’allure de Critérion ? lui demanda Grandcourt quand ils furent entrés dans le parc.

— Il est délicieux à monter. J’aimerais à lui faire franchir des fossés, si cela n’effrayait pas maman. Nous venons de passer à côté d’un petit canal qui était bien disposé pour cela. J’aurais envie d’y retourner et de le sauter.

— Faites-le, je vous en prie. Nous le franchirons ensemble.

— Non, je vous remercie. Maman a trop grand’peur ; si elle me voyait elle serait capable d’en tomber malade.

— Voulez-vous que j’aille le lui demander ? Critérion sautera sans la moindre hésitation, et il est très sûr.

— Non, vraiment ; vous êtes bien bon. Mais maman serait trop alarmée. Quand elle n’est pas là, je ne me fais pas faute de franchir les obstacles, mais je me garde bien de le lui dire.

— Nous pouvons laisser passer la voiture et y retourner.

— Non, non ; je vous en prie, n’y pensons plus ; j’ai parlé en étourdie.

— Mais madame Davilow sait parfaitement que j’aurai le plus grand soin de vous.

— Oui ; mais elle penserait aussi que vous pourriez avoir à prendre soin de moi après que je me serais cassé la tête.