Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est pas en règle ; il vient au monde pour imposer de nouvelles règles. Et il faut bien l’admettre. »

— Assurément, dit lord Brackenshaw assez froidement ; puis il ajouta avec plus de vivacité : Pour ma part, je ne suis pas magnanime ; j’aimerais à emporter le prix. Mais c’est le diable ! je deviens vieux et paresseux. Les jeunes gens me battent maintenant. Comme l’a fort bien dit le vieux Nestor : « Les dieux ne nous donnent pas tout à la fois. » J’ai été jeune et me voilà vieux bonhomme et sage. Vieux ! en tout cas, c’est un don qui échoit à chacun si l’on vit assez longtemps, et il n’excite point de jalousie. Le comte sourit agréablement à sa femme.

— Ô mylord, s’écria madame Arrowpoint, des voisins de vingt ans ne doivent pas parler de leur âge. Les années, comme disent les Toscans, sont faites pour être laissées à la maison. Mais où est donc notre nouveau voisin ? Je croyais que M. Grandcourt devait être ici aujourd’hui.

— Il doit venir, en effet, dit Sa Seigneurie en consultant sa montre. Mais le temps passe ! Il ne fait que d’arriver à Diplow. Il est venu nous voir mardi et nous a dit qu’il avait été un peu tourmenté. Peut-être l’a-t-on attiré d’un autre côté. — Hé ! Gascoigne !

Le recteur, qui passait à quelque distance, en donnant le bras à Gwendolen, arriva à cet appel.

— C’est un peu fort ! Non seulement vous nous battez, vous-même, mais votre nièce bat encore toutes les autres !

— Il est vraiment scandaleux de sa part de faire mieux que les plus anciennes, dit M. Gascoigne avec une évidente satisfaction intérieure. Mais ce n’est pas ma faute, mylord. Je voulais simplement qu’elle fît bonne figure sans surpasser personne.

— Ce n’est pas ma faute non plus, ajouta Gwendolen avec un sourire malicieux. Quand je vise, je ne puis m’empêcher de chercher à toucher le but.