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son chapeau en forme de tuyau de poêle, placé comme par dérision au sommet de ses traits bien marqués, de sa bouche bien fendue et de son menton puissant. Sa haute stature, revêtue d’un costume qui n’était pas strictement anglais, ne s’accordait pas avec son énergique apparence. Drapé dans un ample vêtement, un béret florentin sur la tête, il aurait été un modèle excellent pour un Léonard de Vinci ; mais quel effet devait-il produire en se présentant en habit et en pantalon d’une forme antipathique aux Anglais ? Le feu de ses regards et la brusquerie de ses mouvements tournaient à la caricature sous ce malheureux chapeau qui, pour tenir sur la tête, aurait exigé que les cheveux de son propriétaire fussent bien taillés et que son maintien fût grave, comme celui de M. Arrowpoint, par exemple, dont la nullité d’expression, unie à la coupe excellente de son habit, pouvait passer partout sans ridicule.

— Quels toqués que ces artistes ! dit le jeune Clintock à Gwendolen. Voyez la drôle de figure qu’il fait avec la main sur son cœur, en saluant lord Brackenshaw !

— Vous êtes un profane, répondit Gwendolen. Vous êtes aveugle ; vous ne voyez pas la majesté du génie. Herr Klesmer me frappe de crainte ; je me sens une pygmée en sa présence ; tout mon courage m’abandonne.

— Ah ! vous comprenez donc sa musique ?

— Moi ? non pas, s’écria Gwendolen en riant ; c’est lui, au contraire, qui comprend la mienne et qui la juge pitoyable.

Elle se contentait de plaisanter sur le verdict de Klesmer depuis qu’elle l’avait vu si enthousiasmé de sa plastique.

— La vôtre au moins ne s’adresse pas aux oreilles de l’avenir, et j’en suis heureux : elle me plaît.

— Vous êtes trop aimable. — Mais, voyez donc comme miss Arrowpoint a bonne mine aujourd’hui ! Elle ferait un fort joli effet dans un tableau avec cette toilette couleur d’or.