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LA
GÉOMÉTRIE ET L’EXPÉRIENCE[1]




De toutes les sciences la mathématique jouit d’un prestige particulier pour la raison suivante : ses propositions sont d’une certitude absolue et à l’abri de toute contestation, tandis que celles des autres sciences sont jusqu’à un certain point sujettes à discussion et toujours susceptibles d’être renversées par la découverte de faits nouveaux. Malgré cela, le chercheur dans un autre domaine ne devrait pas encore envier le mathématicien, lorsque ses propositions ne se rapportent pas aux objets de la réalité, mais à ceux de notre simple imagination. Car il ne faut pas s’étonner d’arriver à des conclusions logiques concordantes, dès qu’on s’est mis d’accord sur les propositions fondamentales (axiomes), ainsi que sur les méthodes au moyen desquelles d’autres propositions doivent être déduites de ces propositions fondamentales. Mais ce grand prestige de la mathématique repose d’autre part sur le fait que c’est elle qui confère aux sciences exactes un certain degré de certitude qu’elles ne pourraient pas atteindre autrement.

Ici surgit une énigme qui a fortement troublé les chercheurs de tous les temps. Comment est-il possible que la mathématique, qui est un produit de la pensée humaine et indépendante de toute expérience, puisse s’adapter d’une si admirable

  1. Discours prononcé à l’Académie des Sciences de Berlin le 27 janvier 1921 et complété ensuite.