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LES FUSILLÉS DE MALINES

la terre et ruiner le cultivateur. Avec quelle détresse les patients interrogent le radieux infini au-dessus de leurs têtes ! La sérénité de l’éther nargue leur désespoir. La nuit même, les étoiles bénignes dardent d’obliques rayons sur la moisson brûlée à petit feu, et la lune est plus sardonique que la pire des lunes rousses. Chaque heure diurne ou nocturne ajoute ainsi au désastre inéluctable. Les rustres voient leurs récoltes se fondre épi par épi. Mais, farouches, hagards, s’arrachant les cheveux, plutôt que de blasphémer le Dieu juste de Job et de Lazare, ils se cramponnent à sa providence qui se détourne d’eux, aspirent à s’anéantir comme leurs guérets et appellent sur le chaume qui les abrite avec leur bétail, leurs femmes et leurs nichées faméliques, le feu des holocaustes agréables au Seigneur !…

Tout à coup le vent tourne, d’imperceptibles flocons blancs amatissent le bout de l’horizon ! Ils ont bien vu, ils ne divaguent pas : un léger voile de vapeur gaze un coin du ciel. Sous les coups de la brise occidentale, les brumes se condensent en nuages