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LES FUSILLÉS DE MALINES

C’est dans ce cortège de la mort que consistait le véritable supplice. Les plus stoïques eussent senti leurs nerfs se révolter à l’aspect de ces dépouilles inanimées, de cette chaude et luxuriante floraison humaine, brutalement fauchée et vouée avant sa maturité à la pourriture souterraine !

Mais entre tous ces jeunes hommes, nul plus que Chiel le Torse ne devait ressentir l’anomalie, l’arbitraire atroce de cet attentat à l’œuvre du Créateur. Aucune nature ne proclamait aussi plantureusement que celle de Chiel ses droits à la vie, à de longs jours sous le ciel natal, aucune nature ne devait se cramponner aussi opiniâtrement à l’existence ! Son esprit ouvert et lucide, sa conscience sans reproche, sa santé robuste, sa superbe musculature, tout ce qu’il y avait en lui de sève, de ressort, d’énergie, protestait contre cette suppression de son être, contre ce trépas anticipé, contre cette annihilation d’un corps d’élite bâti pour durer un siècle. Cet homme qui, la veille, dans le combat, avait affronté mille morts, mais les mains libres et certain de n’expirer qu’en se vautrant sur une litière de cada-