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tribuée avec plus de parcimonie. Malgré la surveillance des pouvoirs, on avait constaté à maintes reprises une tendance, peut-être héréditaire, au gaspillage du précieux liquide, et les suprêmes lois policières de la Société tendaient à refréner ces abus : les fabriques d’eau artificielle furent soigneusement gardées, et la répartition s’effectua dès lors avec une stricte sévérité, qui occasionna des révoltes. On reprochait aux riches de fabriquer chez eux de notables quantités d’eau qu’ils employaient à des ablutions ou autres superfluités. Néanmoins, les troubles durèrent peu, et tout rentra dans l’ordre, grâce à l’organisation mathématique de ces peuples, détachés de toute idéologie abstraite.

Car nous aurions tort d’imaginer que ces ultimes rejetons de la race fussent semblables à nous : le temps, le climat, toutes les urgences avaient modifié leurs pensées en même temps que leurs besoins, et même les fonctions avaient transformé les organes.

Leur taille, très inférieure à la nôtre, avait proportionnellement participé à la diminution du monde habitable, et de toutes choses.

Les plus forts atteignaient à peine aux dimensions d’un enfant de sept ans, mais leur tête était égale au double de la nôtre, et oscillait sans cesse sur un cou grêle et fragile. Les membres étaient incroyablement petits, minces et courts, impropres à la marche, au travail, et les pieds infimes. Mais les douze doigts, minces, longs, spatulés au bout par l’habituelle pression des claviers, se manifestaient plus aptes que les nôtres au maniement des outils délicats. Depuis que la machine accomplissait tout labeur matériel de motion et de locomotion, ces êtres, dispensés de l’effort, n’agissant point par eux-mêmes, ne mangeant pas, et toujours assis devant leurs mécaniques, avaient la poitrine étriquée, le ventre plat et les articulations énormes, nouées par un arthritisme congénital.