Page:Edmond Haraucourt Cinq mille ans 1904.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.

DU HAUT DE LA BUTTE

Il était un peu plus de midi, lorsque, par une belle journée de l’an 6983 (12-18 juillet), les barques racolées par le pêcheur de sardines se détachèrent peu à peu des îles parisiennes, et, traversant ce golfe, dirigèrent leur flottille vers le phare de Montmartre, où les touristes d’Océanie attendaient leur venue. L’éminent archéologue qui dirigeait l’excursion scientifique jugea que le moment était venu de reprendre la parole.

— Messieurs, afin de procéder avec méthode à la visite de cette cité engloutie, orientons-nous d’abord. Paris s’étendait devant nous vers le Sud, et nous sommes ici à l’extrémité Nord de cette capitale. L’Océan s’avançait par notre droite, c’est-à-dire de l’Ouest, et la ville continentale, qui était peu à peu devenue un port de mer, disparut enfin sous les flots. Les sept collines qui bombaient la cité furent alors les maigres îlots que nous voyons émerger : à l’Est, le Mont-de-Chaux, et, vers le Nord-Est, le cimetière public, dont le nom nous est révélé par une inscription, aujourd’hui, déchiffrée, le Père-Lachèze ; au Sud-Est, la nécropole des Grands-Hommes, avec le temple de la Patrie-Reconnaissante ; se rapprochant du Sud, l’île des Sénateurs, et, là-bas, au Sud-Ouest, l’île des Guerriers-Valeureux, ou mont Valeurien ; enfin, à l’Ouest, l’île de l’Empereur, où s’amoncèlent les ruines du monument le plus notoire qui nous reste de cette époque. L’examen des vestiges épars sur ces hauteurs va nous permettre d’étudier chronologiquement une civilisation disparue, et de restituer les grandes lignes de son histoire.

Car les documents écrits, vous le savez, sont rares, en raison du procédé qu’on employait alors pour la reproduction graphique : le papier, sorte de boue séchée et gravée à l’état sec, mais qui promptement redevenait de la boue, fut une invention néfaste pour la mémoire de ces hommes, de leurs idées, de leur philosophie, de leur histoire, de leur littérature. Presque rien n’a survécu de ces âges, qui néanmoins — nous en possédons les preuves — produisaient des ouvrages dignes d’un si puissant empire et d’une culture relativement si avancée.