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L’AVENIR

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C’est de l’avenir qui entre.

Mlle Madeleine débute dans le monde : pour la première fois, elle fait des visites avec sa mère. La mère et la fille pénètrent dans le salon, l’une derrière l’autre, et l’une ressemble à l’autre, comme se ressembleraient deux images de la même personne réfléchies par deux miroirs courbes, celle-là en largeur, celle-ci en longueur, et toutes les deux sourient, l’une en large, l’autre en long ; mais l’une parle at l’autre se tait.

C’est de l’avenir qui s’assied.

Mlle Madeleine a dix-sept ans et quelques mois.

Avant de s’asseoir, elle a vite inspecté, d’un coup d’œil latéral, le siège où sa robe va siéger : ainsi font les herrmines, sans doute ; puis, sans retard, l’aimable enfant a souri de nouveau, et c’est fini de rire ; elle tient le torse droit, et ne bouge plus : les fruits naissants de sa poitrine tendent le fin surah du corsage, où nulle main ne doit encore se poser ; sa jupe de soie à fleurs roses se drape chastement sur ses jambes parallèles, et ses deux genoux joints sont séparés à peine par un imperceptible creux, pudique vallon entre deux collines jumelles : c’est de l’avenir qui attend.

Entre ces deux collines, la demoiselle a déposé une ombrelle inutile contre le soleil, mais bien précieuse pour donner un emploi aux mains ; parfois, cependant, elle hausse une de ces mains, tantôt la droite, tantôt la gauche, jusqu’à sa nuque, dont elle calme les frisons qui, pourtant, n’avaient pas bougé ; ensuite, les doigts gantés de clair reviennent vers l’ombrelle dont ils lissent le manche, de haut en bas, de bas en haut.

Or, ses cheveux, comme il convient, sont blonds ; ses doigts qui caressent du bois sont un peu raides, à cause des gants neufs, et ne savent pas qu’on donne des caresses ; ses bras sont grêles et ne savent pas qu’on donne des étreintes ; ses lèvres, d’une couleur faible, sont filiales et ne savent pas qu’on donne des baisers : périodiquement elles s’entr’ouvrent, comme celles des enfants, et l’on voit alors monter, pareille à une aurore de nacre, ses petites dents mal plantées qui luisent ; périodiquement aussi sa langue innocente se glisse entre ses lèvres et les humecte avec lenteur, puis disparaît.