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réaliser le total de misères que j’avais endurées pendant les jours passés sur notre ponton. On se rappelle bien les incidents, mais non plus les sensations engendrées par les circonstances successives. Tout ce que je sais, c’est que, au fur et à mesure que ces événements se produisaient, j’étais toujours convaincu que la nature humaine était incapable d’endurer la douleur à un degré au delà.

Pendant quelques semaines, nous continuâmes notre voyage sans incidents autrement importants, si ce n’est que nous rencontrâmes de temps en temps des baleiniers, et plus souvent encore des baleines noires ou baleines franches, qu’on nomme ainsi pour les distinguer des cachalots. Le 16 septembre, comme nous étions à proximité du cap de Bonne-Espérance, la goëlette attrapa son premier coup de vent un peu sérieux depuis son départ de Liverpool. Dans ces parages, mais plus fréquemment au sud et à l’est du promontoire (nous étions à l’ouest), les navigateurs ont souvent à lutter contre les tempêtes du nord, qui soufflent avec une rage effroyable. Elles amènent toujours une grosse houle, et un de leurs caractères les plus dangereux est la saute de vent, la saute de vent subite, accident qui a presque toujours lieu au plus fort de la tempête. Un véritable ouragan soufflera, à un moment donné, du nord ou du nord-est, et une minute après il ne viendra pas un souffle de vent du même côté ; c’est au sud-ouest qu’aura sauté la tempête, et avec une violence presque inimaginable. Une éclaircie au sud-ouest est le symptôme avant-coureur le plus sûr d’un pareil changement, et les navires ont ainsi le moyen de prendre les précautions nécessaires.