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travaillent donc tous ces Calzolaï qui eux-mêmes, souvent, n’ont point de chaussures aux pieds ?

Ici, les lamentations éternelles des Italiens du peuple sur leur misère, la cherté de la vie, les impôts onéreux forment le fond de toutes les conversations, dans les trattorie et les botigliere.

Des hommes vigoureux et jeunes, couchés toute la journée sur les bancs des jardins ou sur les remparts, vous disent : « Il n’y a pas de travail… D’ailleurs, ce serait una vergogna per me, si je me mettais à travailler. Je suis noble, c’est impossible. »

De quoi vivent tous ces nobles, tous ces signori et ces cavalieri loqueteux, Dieu seul le sait ! Mais la paresse du Sarde méridional est aussi invincible que celle du Napolitain et, malgré leurs doléances perpétuelles, je suis convaincu qu’ils sont heureux, un peu à la façon des lézards d’émeraude qui s’étalent sur les vieux murs du Castello, au soleil de midi.

Ici, la vie familiale chez les nobles et les bourgeois est aussi austère et presque aussi fermée que dans les classes élevées de la société musulmane. Les femmes sortent peu, rarement seules, et sont surveillées farouchement.

Mais, à la brune, l’on peut voir presque sous tous les balcons peu nombreux, sous toutes les fenêtres, des jeunes hommes d’allures mystérieuses, rasant les murs et passant des heures, les yeux levés vers les donne dissimulées derrière les rideaux à peine écartés et derrière les grillages