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de volonté peu commune et c’est ce qui enraye un peu les progrès du mal. Elle mourra presque à la peine. C’est navrant, cette mort juste au moment où elle touche à la fin de son dur labeur, où elle croit pouvoir commencer le vrai travail, celui qui était le but de sa vie !

— Croyez-vous qu’elle le passera, son doctorat ?

Marie Edouardowna hocha la tête dubitativement.

Quand je rejoignis Chouchina, elle était assise sur son lit, inactive par extraordinaire, m’attendant. Je fus frappé du regard anxieux, interrogateur, presque sévère qu’elle darda sur moi, me révélant la lutte atroce qui s’était engagée en elle entre la certitude dictée par son intelligence lucide, savoir et le vouloir de vivre, obstiné, et l’espérance vivace.

J’eus de la peine à dominer l’émotion qui m’envahit sous ce regard et à lui dire :

— Marie Edouardowna vous trouve affaiblie. Mais, pour le moment, il n’y a d’après elle aucun danger, si vous ne perdez pas courage et si vous vous soignez bien.

Pour la première fois devant moi, Chouchina eut un mouvement de révolte à la fois et de faiblesse.

Elle joignit convulsivement les mains :

— Oh, encore, encore quelques années ! Tant de travail, tant d’efforts…