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Tout à coup, de toutes les ruelles mortes, sortirent en silence de longues théories de femmes, voilées à l’antique de haillons sombres, bleus ou rouges, et portant, sur leur tête ou sur leur épaule, de grandes amphores frustes en terre cuite… avec le même geste sculptural que devaient avoir, des milliers d’années auparavant, les femmes de la race prédestinée de Sem, quand elles allaient puiser l’eau des fontaines chananéennes.

Dans l’océan illimité de lumière rouge inondant la ville et les cimetières, elles ressemblaient à des fantômes glissant au ras du sol, les femmes drapées d’étoffes sombres, aux plis helléniques, qui s’en allaient en silence vers les jardins profonds, cachés en les dunes de feu.

Très loin, une petite flûte en roseau commença de pleurer une tristesse infinie et cette plainte ténue, modulée, traînante à la fois et entrecoupée comme un sanglot, était le seul son qui animait un peu cette cité de rêve.

Mais voilà que le soleil a disparu et, presque aussitôt, lentement, le flamboiement des dunes et des coupoles commence à se foncer jusqu’au violet marin, et ces ombres profondes, qui semblent sortir de la terre assombrie, remontent, rampent, éteignent progressivement les lueurs qui allument encore les sommets.

La petite flûte enchantée s’est tue…

Soudain, de toutes les mosquées nombreuses, une autre voix s’élève, solennelle et lente :