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Une lueur bleuâtre glissait sur les murs et les arbres, jetant des ombres profondes dans tous les renfoncements et les recoins qui semblaient des abîmes.

Au milieu du terrain vague et aride qui touche d’un côté à la muraille grise de la ville et à la Porte de Lambèse, et de l’autre aux premières pentes de la montagne, la mosquée s’élevait solitaire… Sans style et sans grâce de jour, dans la lumière magique de la lune, elle apparaissait diaphane et presque translucide, baignée d’un rayonnement imprécis.

Du côté du Village-Noir, des sons assourdis de benadir et de gasba retentissaient… Devant le café d’Aly Frank, une femme était assise sur le banc de bois, les coudes aux genoux, la tête entre les mains. Elle guettait les passants mais avec un air d’indifférence profonde, presque de dégoût.

D’une maigreur extrême, les joues d’un rouge sombre, les yeux caves et étrangement étincelants, les lèvres amincies et douloureusement serrées, elle semblait vieillie de dix années, la charmante et fraîche petite Bédouine des ruines de Timgad…

Cependant, dans ce masque de douleur, presque d’agonie, déjà, l’existence qu’elle menait depuis trois années bientôt n’avait laissé qu’une ombre de tristesse plus profonde… Et, malgré tout, elle était belle encore, d’une beauté maladive et plus touchante…