Page:Eberhardt - Contes et paysages, 1925.pdf/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alors, elle pleurait, entrecoupant de sanglots déchirants les couplets mélancoliques, appelant son Mabrouck chéri par les plus doux noms qu’elle avait coutume de lui donner, le suppliant de revenir, comme s’il pouvait l’entendre.

Elle était illettrée, et Jacques ne pouvait lui écrire, car elle n’eût osé montrer à qui que ce soit les lettres de l’officier pour se les faire traduire.

Elle était donc restée sans nouvelles de lui.

Un dimanche, tandis qu’elle rêvait tristement, elle vit arriver du côté de Batna un cavalier indigène, monté sur un fougueux cheval gris. Le cavalier, qui portait la tenue des officiers indigènes de spahis, poussa son cheval dans le lit de l’oued. Il semblait chercher quelqu’un. Apercevant la petite fille, il l’interpella :

— N’es-tu point Smina bent Hadj Salem ?

— Qui es-tu, et comment me connais-tu ?

— Alors, c’est bien toi ! Moi, je suis Chérif ben Aly Chaâmbi, sous-lieutenant de spahis, et ami de Jacques. C’est bien toi qui étais sa maîtresse.

Épouvantée de voir son secret en possession d’un musulman, Yasmina voulut fuir. Mais l’officier la saisit par le poignet et la retint de force.

— Où vas-tu, fille de péché ? J’ai fait toute cette longue course pour voir ta figure et tu te sauves ? Elle faisait de vains efforts pour se dégager.

— Lâche-moi ! Lâche-moi ! Je ne connais personne, je n’étais la maîtresse de personne !