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Et ce mot, obstinément répété sur un ton presque solennel, sembla à Jacques le glas funèbre de sa jeunesse.

Abadane ! Abadane ! Il y avait, dans le son même de ce mot, quelque chose de définitif, d’inexorable et de fatal.

— Oui, tu t’en vas… Tu vas te marier avec une Roumia, là-bas, en France…

Et une flamme sombre s’alluma dans les grands yeux roux de la nomade. Elle s’était dégagée presque brusquement de l’étreinte de Jacques, et elle cracha à terre, avec dédain, en un mouvement d’indignation sauvage.

— Chiens et fils de chiens, tous les Roumis !

— Oh, Yasmina, comme tu es injuste envers moi ! Je te jure que j’ai supplié tous mes camarades l’un après l’autre de partir au lieu de moi… et ils n’ont pas voulu.

— Ah, tu vois bien toi-même que, quand un officier ne veut pas partir, il ne part pas !

— Mais mes camarades, c’est moi qui les ai priés de partir à ma place, et ils ne dépendent pas de moi… tandis que moi, je dépends du général, du ministre de la guerre…

Mais Yasmina, incrédule, demeurait hostile et fermée.

Et Jacques regrettait que l’explosion de désespoir qu’il avait tant redoutée en route n’eût pas eu lieu.

Ils restèrent longtemps ainsi, silencieux, séparés déjà par tout un abîme, — par toutes ces choses