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connaissait ces hommes qui, au début, lui avaient semblé si mystérieux et qui, après tout, n’étaient que des hommes comme tous les autres, ni pires, ni meilleurs, autres seulement. Et justement, ce qui faisait que Jacques les aimait, c’était qu’ils étaient autres, qu’ils n’avaient pas la forme de vulgarité lourde qu’il avait tant détestée en Europe.

Et l’horizon de sable gris enserrant la ville grise n’angoissait plus Jacques : son âme communiait avec l’infini.

    

À l’aube claire et gaie, dans la délicieuse fraîcheur du vent léger, Jacques quittait les ruines. Une joie infinie dilatait sa poitrine. Il marchait allègrement, ivre de vie et de jeunesse, dans les rues qui s’éveillaient. Ce pays, qu’il aimait, lui sembla tout nouveau, comme si un voile, qui l’eût recouvert jusqu’ici, eût été brusquement retiré. El Oued, dans son cadre immuable de dunes, apparut à Jacques d’une splendeur insoupçonnée encore.

Oh ! rester là, toujours, ne plus s’en aller jamais ! accomplir la bonne besogne pénible à la fois et captivante de son apostolat ; puis, à d’autres heures, s’abandonner à toutes les délicates douceurs de la contemplation. Enfin, dans la tiédeur des nuits, se donner tout entier à la superbe emprise de cet amour qu’il n’avait pas cherché… Jacques n’eût pu dire ce qu’il pensait de cette aventure, de cette