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ils rengageaient, sans broncher… Si, par hasard, ils s’en allaient, au bout de six mois, gênés, errant dans la vie, ils revenaient, remettaient leur nuque docile sous le joug… Et Jacques les plaignit d’être ainsi, de ne pas souffrir de leur déchéance et de leur servitude.

Jacques avait rêvé du rôle civilisateur de la France. Il avait cru qu’il trouverait dans le Ksar des hommes conscients de leurs missions, préoccupés d’améliorer ceux que, si entièrement, ils administraient… Mais, au contraire, il s’aperçut vite que le système en vigueur avait pour but le maintien du statu quo.

Ne provoquer aucune pensée chez l’indigène, ne lui inspirer aucun désir, aucune espérance surtout d’un sort meilleur. Non seulement ne pas chercher à les rapprocher de nous, mais, au contraire, les éloigner, les maintenir dans l’ombre, tout en bas… rester leurs gardiens, et non pas devenir leurs éducateurs.

Et n’était-ce pas naturel ? Puisque dans leur élément naturel, à la caserne, ces gens ne cherchaient jamais à s’élever un peu vers eux, à rapprocher d’un type un peu humain la masse d’en bas, la foule impersonnelle, puisqu’ils étaient habitués à être là pour empêcher toute manifestation d’indépendance, toute innovation, comment, appelés par un hasard qu’ils pouvaient qualifier de bienheureux, car il servait à la fois tous leurs