Page:Eberhardt - Contes et paysages, 1925.pdf/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mêler de l’administration… Mais c’est embêtant quand même… À tout prendre, l’autre valait mieux… Moins encombrant. Aussi pourquoi nous envoie-t-on des gosses ! Si au moins c’étaient des Algériens…

Et le capitaine s’attacha dès lors à montrer franchement, froidement, au docteur sa désapprobation absolue. Cela attrista Jacques. S’il ne se soumettait plus au jugement des hommes, il souffrait encore de leur haine, sinon de leur mépris.

De plus en plus, ce qui, dans ses rapports avec les hommes, lui répugnait le plus, c’était leur vulgarité, leur souci d’être, de penser et d’agir comme tout le monde, de ressembler aux autres, et d’imposer à chacun leur manière de voir, impersonnelle et étroite.

Cette mainmise sur la liberté d’autrui, cette ingérence dans ses pensées et ses actions l’étonnaient désagréablement… Non contents d’être inexistants eux-mêmes, les gens voulaient encore annihiler sa personnalité à lui, réglementer ses idées, enrayer l’indépendance de ses actes… Et, peu à peu, de la douceur primordiale, un peu timide et avide de tendresse, de son caractère, montaient une sourde irritation, une rancœur et une révolte. Pourquoi admettait-il, lui, la différence des êtres, pourquoi eût-il voulu pouvoir prêcher la libre et féconde éclosion des individualités, en favoriser le développement intégral, pourquoi n’avait-il aucun désir de façonner les