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Andreï songea qu’il suffisait de posséder le don précieux de tristesse pour être heureux…

Il était venu s’installer là, dans l’ombre chaude des dattiers de Tamerna Djedida, dans le lit salé de l’oued Rir’ souterrain.

Il avait acheté quelques palmiers, une source salpétrée qui vivifiait de ses ruisselets clairs le jardin et une petite maison cubique en toub rougeâtre.

Le bureau arabe dont dépend l’oasis avait bien cherché, par haine de l’élément civil, surtout indépendant, à détourner Andreï de son projet. On avait usé envers lui de tous les procédés, de la persuasion rusée, de l’intimidation. Il s’était heurté à la morgue, à la suffisance des galonnés improvisés administrateurs, mais sa calme résolution avait vaincu leur résistance.

Il savait cependant que le climat de cette région est meurtrier, que la fièvre y règne et y tue même les indigènes. Mais n’avait-il pas séjourné de longs mois dans le bas de cette vallée de l’oued Rir’, près de son embouchure, dans le chott Mel’riri ? Il n’avait jamais été malade et il résisterait…

Il aimait ce pays mystérieux, hallucinant, où toute la chimie cachée de la matière s’étalait à fleur de terre, où l’eau iodée et salée dessinait de capricieuses arabesques blanches sur les herbes frêles des séguia murmurantes, ou teintait en rouge de rouille le bas des petits murs en toub qui faisait des jardins un vrai labyrinthe obscur.

Partout, l’eau suintait, creusait des trous, des