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D’UNE COCODETTE


parurent pas, ce jour-là, assez apparentes. Et me voilà avec un pinceau délicatement imbibé d’indigo, occupée à refaire ces jolies petites veines. Tous les menus détails de ma toilette furent l’objet des soins les plus minutieux. Je me chaussai de bas de fil d’Écosse brodés à jour, qui laissaient transparaître la nuance rosée de la peau, et de souliers découverts, à talons hauts, en chevreau mordoré. Mon mari, qui s’y connaissait, trouvait cette manière de me chausser « irrésistible ». Je n’ai pas besoin de dire que mon linge fut choisi dans tout ce que j’avais de plus fin et de plus beau. « Il en aura pour son argent[1] ! » me disais-je en passant mes jupons garnis de dentelles. Je suis honteuse de ces détails. Pour les esprits superficiels, ils sembleraient indiquer une insouciance vicieuse. Il n’y avait cependant chez moi que le désespoir d’une femme froidement décidée à s’immoler, joint à ce sentiment de coquetterie qui ne peut nous abandonner dans aucune des plus poignantes et des plus douloureuses circonstances de la vie, même, dit-on, à notre lit de mort. Quand je fus habillée, au moment de partir, je me trouvai, sur le palier de mon appartement, nez à nez avec mon mari.

  1. Variante, ligne 13, au lieu de Il en aura pour son argent ; lire : Voilà un homme qui n’est pas à plaindre !