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lement la sensation d’une certaine régularité dans l’ordre de succession des phénomènes ; l’animal lui-même n’en est pas incapable. Seulement, toutes ces relations sont personnelles à l’individu qui y est engagé et, par suite, la notion qu’il en peut acquérir ne peut, en aucun cas, s’étendre au-delà de son étroit horizon. Les images génériques qui se forment dans ma conscience par la fusion d’images similaires ne représentent que les objets que j’ai directement perçus ; il n’y a rien là qui puisse me donner l’idée d’une classe, c’est-à-dire d’un cadre capable de comprendre le groupe total de tous les objets possibles qui satisfont à la même condition. Encore faudrait-il avoir au préalable l’idée de groupe, que le seul spectacle de notre vie intérieure ne saurait suffire à éveiller en nous. Mais surtout il n’y a pas d’expérience individuelle, si étendue et si prolongée soit-elle, qui puisse nous faire même soupçonner l’existence d’un genre total, qui embrasserait l’universalité des êtres, et dont les autres genres ne seraient que des espèces coordonnées entre elles ou subordonnées les unes aux autres. Cette notion du tout, qui est à la base des classifications que nous avons rapportées, ne peut nous venir de l’individu qui n’est lui-même qu’une partie par rapport au tout et qui n’atteint jamais qu’une fraction infime de la réalité. Et pourtant, il n’est peut-être pas de catégorie plus essentielle ; car comme le rôle des catégories est d’envelopper tous les autres concepts, la catégorie par excellence paraît bien devoir être le concept même de totalité. Les théoriciens de la connaissance le postulent d’ordinaire comme s’il allait de soi, alors qu’il dépasse infiniment le contenu de chaque conscience individuelle prise à part.

Pour les mêmes raisons, l’espace que je connais par mes sens, dont je suis le centre et où tout est disposé par rapport à moi ne saurait être l’espace total, qui contient toutes les étendues particulières, et où, de plus, elles sont coordonnées par rapport à des points de repère impersonnels, communs à tous les individus. De même, la durée concrète