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déclencher les forces émotives qui sont en nous, non les créer ni les accroître. De ce que nous nous représentons un objet comme digne d’être aimé et recherché, il ne suit pas que nous nous sentions plus forts ; mais il faut que de cet objet se dégagent des énergies supérieures à celles dont nous disposons et, de plus, que nous ayons quelque moyen de les faire pénétrer en nous et de les mêler à notre vie intérieure. Or, pour cela, il ne suffit pas que nous les pensions, mais il est indispensable que nous nous placions dans leur sphère d’action, que nous nous tournions du côté par où nous pouvons le mieux ressentir leur influence ; en un mot, il faut que nous agissions et que nous répétions les actes qui sont ainsi nécessaires, toutes les fois que c’est utile pour en renouveler les effets. On entrevoit comment, de ce point de vue, cet ensemble d’actes régulièrement répétés qui constitue le culte reprend toute son importance. En fait, quiconque a réellement pratiqué une religion sait bien que c’est le culte qui suscite ces impressions de joie, de paix intérieure, de sérénité, d’enthousiasme qui sont, pour le fidèle, comme la preuve expérimentale de ses croyances. Le culte n’est pas simplement un système de signes par lesquels la foi se traduit au-dehors, c’est la collection des moyens par lesquels elle se crée et se recrée périodiquement. Qu’il consiste en manœuvres matérielles ou en opérations mentales, c’est toujours lui qui est efficace.

Toute notre étude repose sur ce postulat que ce sentiment unanime des croyants de tous les temps ne peut pas être purement illusoire. Tout comme un récent apologiste de la foi[1], nous admettons donc que les croyances religieuses reposent sur une expérience spécifique dont la valeur démonstrative, en un sens, n’est pas inférieure à celle des expériences scientifiques, tout en étant différente. Nous aussi nous pensons « qu’un arbre se connaît à ses

  1. William James, The Varieties of Religious Experience.