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croyances. Mais que la colère qu’il détermine s’affirme ostensiblement et avec énergie, et elle compense le mal qui l’a causée. Car si elle est vivement ressentie par tous, c’est que l’infraction commise est une exception et que la foi commune reste entière. L’unité morale du groupe n’est donc pas en danger. Or la peine infligée à titre d’expiation n’est que la manifestation de cette colère publique, la preuve matérielle de son unanimité. Elle a donc réellement l’effet réparateur qu’on lui attribue. Au fond, le sentiment qui est à la racine des rites proprement expiatoires ne diffère pas en nature de celui que nous avons trouvé à la base des autres rites piaculaires : c’est une sorte de douleur irritée qui tend à se manifester par des actes de destruction. Tantôt elle se soulage au détriment de celui-là même qui l’éprouve ; tantôt, c’est aux dépens d’un tiers étranger. Mais dans les deux cas, le mécanisme psychique est essentiellement le même[1].

IV

Un des plus grands services que Robertson Smith ait rendus à la science des religions est d’avoir mis en lumière l’ambiguïté de la notion du sacré.

Les forces religieuses sont de deux sortes. Les unes sont bienfaisantes, gardiennes de l’ordre physique et moral, dispensatrices de la vie, de la santé, de toutes les qualités que les hommes estiment : c’est le cas du principe totémique, épars dans toute l’espèce, de l’ancêtre mythique, de l’animal-protecteur, des héros civilisateurs, des dieux tutélaires de toute espèce et de tout degré. Peu importe qu’elles soient conçues comme des personnalités distinctes ou comme des énergies diffuses ; sous l’une et sous l’autre forme, elles jouent le même rôle et affectent de la même

  1. Cf. ce que nous avons dit sur l’expiation dans notre Division du travail social, 3e éd., p. 64 et suiv.